Cette nuit (*), j’ai encore eu envie de mourir plutôt que de continuer à avoir mal.
Cette nuit (*), je me suis encore fait du mal pour supporter la douleur.
Cette nuit (*), j’ai encore été dans une détresse telle que je n’ai pas imaginé pouvoir y survivre.
Et pourtant, si j’écris ces mots, c’est bien que j’ai survécu. Quelle bonne nouvelle.
Depuis combien de temps maintenant, mon seul objectif est de survivre jusqu’au lendemain ? Depuis combien de temps l’on s’en contente, autour de moi ? Depuis combien de temps l’on se repose sur ma seule capacité à survivre ? Depuis combien de temps l’étiquette « solide » posée sur mon front par beaucoup trop de monde permet de se dire que ça va encore, tandis que je suis en train de mourir ?
Je tiens.
Ca tient.
« Vous êtes solide. »
« Accrochez-vous. »
Il faut.
Et même quand ça ne tient pas, ça tient encore.
Et même quand je tombe, je me relève.
Et même quand je pleure, je souris.
Et même quand je suis brisée en mille morceaux, je suis solide sous mon ruban adhésif qui tente de tout faire tenir à nouveau.
Et même quand il n’y a plus de branche, je m’accroche encore.
Il faut.
Et si je ne pouvais plus ?
Je n’ai pas les relais nécessaires. Je n’ai pas le répit nécessaire. Je n’ai pas la situation nécessaire. J’épuise mon corps autant que mon esprit. Qui a décidé que je suis assez solide ? Qui a le droit de décider à ma place que je tiens encore, alors que je meurs chaque jour un peu plus que le précédent, alors que mes larmes ne coulent parfois même plus tant la douleur me coupe de toute forme de vie, alors que l’administratif me noie, alors que l’épuisement ne peut pas s’arrêter même si l’on décide de ne plus le voir, alors que… Qui cessera de refuser de voir qu’être solide ne suffit pas ?
Je ne sais pas pourquoi je suis vue comme solide, forte, courageuse. Je ne sais pas quels signaux, à quels moments, ont permis de m’étiqueter.
« Solide », ça veut dire que je peux tout encaisser. Et ça veut dire que je n’ai pas besoin de ce dont j’ai besoin.
« Forte », ça permet d’ignorer ma fragilité. Et de nier la dégradation continue de mon état.
« Courageuse », c’est pratique pour les autres. Donc dangereux pour moi.
Je ne suis pas solide. Je ne suis pas forte. Je ne suis pas courageuse.
Je suis fragile. Je suis faible. Je suis lâche.
Et j’en ai le droit.
J’ai besoin de relais. De répit. D’une pause réelle et surtout durable dans la douleur, dans les douleurs. De pleurer. De crier. De me reposer sur d’autres. De ne plus être celle qui pense, agit, assume, décide, répond, demande. De ne plus être celle qui résiste à tout.
L’étiquette posée sur mon front n’est pas un compliment. Même si elle y ressemble. Elle est une pression, autant qu’elle autorise à nier une partie de mon vécu. Puisque je suis si forte, je dois encaisser et tenir et m’accrocher. Puisque je suis si forte, je ne peux pas ne plus supporter. Puisque je suis si forte, il suffit d’attendre demain que j’aie survécu à aujourd’hui.
Cette étiquette que je n’ai pas demandée, dont je ne veux pas plus qu’une autre étiquette d’ailleurs, c’est une énième injonction. Cachée (un peu).
Et si je ne pouvais plus ?
Qui l’entendrait (sans me coller une autre étiquette…), puisque je suis si forte et que je n’ai tellement pas le droit de ne pas l’être ? Qui sortirait du confort de me considérer comme auto-suffisante, pour enfin m’offrir le répit dont j’ai cruellement besoin ?
Je suis épuisée. Je n’ai plus envie que l’on me réponde que je suis forte, que je tiens, que je m’accroche. Je suis juste un être humain, dont le corps est poussé bien au-delà de ses limites depuis trop longtemps. J’ai besoin qu’on entende que je suis épuisée. Et que : c’est tout. Que ça ne s’accompagne pas d’une force, d’un courage… que c’est juste là et que ce n’est plus supportable, que ce n’est plus possible de tenir, qu’il n’y pas d’injonction à m’accrocher qui puisse être salvatrice dans cet épuisement sans solution depuis trop longtemps.
Il faut tenir ?
Non. Il faut m’aider à tenir.
Attention, je n’ai rien contre les encouragements (**). J’ai tout contre les injonctions, contre les étiquettes qui enferment, mettent des oeillères, permettent de nier au moins une partie de la réalité vécue et déjà si difficile à faire comprendre. Et là, c’est ce qui arrive. Le confort de mon courage, c’est qu’il permet de ne pas m’aider. L’avantage de ma force, c’est qu’elle permet que je reste en vie encore un peu et qu’on ne s’inquiète pas de savoir dans quelles conditions je survis. L’injonction à m’accrocher, c’est comme celle à positiver : elle sert à ce que son émetteur-ice n’ait pas besoin d’intervenir d’une quelconque façon… tout repose sur moi. Moi qui suis à bout, parce que justement tout repose sur moi depuis trop longtemps.
Cette nuit (*), je n’ai pas été forte.
Cette nuit (*), j’aurais eu besoin de répit, de pause, de relais, d’humain, de bras autour de moi, d’oreilles attentives, et d’une annonce me disant que je n’aurais pas à nouveau à tout gérer dès ce matin.
J’ai besoin de ne plus être solide. Etre solide me tue.
(*) inutile de dater ou de chercher à dater, ce sont des faits intemporels
(**) et je suis la première à faire des projets pour tenir encore un peu, pour m’accrocher à de la vie ; mais comment tenir malgré mon corps ?